Cette collaboration inédite est née du désir de ces citoyens de l’itinérance de sonder ensemble sur un mode transculturel et transhistorique leur territoire de vie actuel.
À la suite d’un long périple qui les a menés hors du continent américain jusqu’en Europe, Alves et Durham s’installent au bord de la « mer intérieure ».
Dans la lignée du Projet Eurasien de Jimmie Durham, initié en 1994 dès son départ d’Amérique et du projet Seeds of Change amorcé par Maria Thereza Alves dans le port de Marseille en 1999, l’idée du Projet Méditerranéen se forme peu à peu, en quête de ce vaste continent, en rien défini par des frontières, mais bien imaginé, rêvé, et, par-là, illimité. The Middle Earth en constitue ainsi la première étape.
Les deux artistes, qui ont chacun une pratique artistique distincte, internationalement reconnue, révèlent des influences croisées tenant, d’une part, à l’engagement politique qui irrigue leurs œuvres respectives et d’autre part, à des sujets de recherches communs, autour des notions de territoire ou d’autorité. On retrouve en effet ces questionnements chez l’un comme chez l’autre et dans les deux cas, ces réflexions sont portées par une même critique des cadres idéologiques et normatifs qui façonnent notre rapport au monde.
Maria Thereza Alves porte une attention particulière et activiste au vécu d’un territoire et oriente ses recherches, entre poésie et ethnologie, sur les phénomènes migratoires et les peuples déraciné. En Europe, le travail de Durham s’est focalisé principalement sur la relation entre l’architecture, la monumentalité et l’Histoire nationale, en déconstruisant les stéréotypes et les récits officiels. Concevant l’histoire comme un processus, il cherche la réalité des objets, voire leur intentionnalité, dans leur contexte évolutif, à rebours de leur catégorisation figée.
À partir de la relation matricielle entre leur pratique artistique et les lieux qu’ils traversent, les deux artistes ouvrent à l’IAC une nouvelle recherche, menée à quatre mains, autour de l’héritage métissé de cette « terre du milieu ».
Conçue comme un « poème tragique » et une « mosaïque », The Middle Earth s’organise en une succession de neufs « sections » en résonnance les unes avec les autres : Nourriture & musique, Naissance de l’écriture, Teinture, Verre, sirène, Temple, Mer, Silex, Plantes, Arbres, Fer.
Chacune de ces composantes aborde une dimension différente de ce « midi1 » envisagée à la fois comme aire2 et ère3 , comme finie et indéfinie.
À distance de toute notion encyclopédique, se côtoient sans rapport hiérarchique : des vestiges archéologiques paléochrétiens et des plantes, des mythes grecs et des peintures contemporaines, des silex et des documents dactylographiés, des détritus et des effigies égyptiennes. Porté par le chant des sirènes et les notes de oud, le visiteur est ainsi amené à tisser des liens entre chacun des éléments, des relations inédites.
De façon poétique, le Projet Méditerranéen déconstruit cependant les codes de ce berceau de la civilisation occidentale. Par cette approche horizontale, affranchie d’une conception occidentale anthropocentrée et des principes dualistes séparant l’homme de la nature, Maria Thereza Alves et Jimmie Durham redessinent ici une autre cosmogonie*.
Transhistorique, ce projet n’élude pourtant pas la terrible actualité de la Méditerranée qui génère aujourd’hui dans l’imaginaire collectif des projections contradictoires. Tout à la fois territoire idyllique et zone de conflit, lieu d’inclusion et d’exclusion, cette mer commune à tant de peuples constitue une zone indéfinissable, vertigineuse.
Prenant comme «guides», comme figures tutélaires, quatre éléments qui ont en commun le fait d’avoir quasiment disparu des mémoires ou de la surface de la planète : le murex, l’ibis, l’arbousier et le phoque moine, c’est donc sur une tonalité à la fois tragique et sélective que les artistes composent ce poème.
S’il y a l’idée que tout s’éteint, tout disparait où tout renait en Méditerranée, c’est précisément en activant les possibles porosités entre le vivant et l’histoire, que se créent d’autres récits et que la poésie devient geste.
*À ce titre le Projet méditerranéen rencontre les explorations du laboratoire de l’IAC, le Laboratoire espace cerveau, dans le cadre de son nouveau cycle de recherche Vers un monde cosmomorphe
1 La mer Méditerranée (prononcé [me.di.te.ra.ne]) doit son nom au fait qu’elle est littéralement une « mer au milieu des terres », en latin mare medi terra
2 Sphère géographique aux délimitations tant politiques que naturelles
3 Période transhistorique, de l’Antiquité à l’actualité migratoire récente